« Nous ne sommes pas là pour oublier, mais pour faire mémoire. »
C’est par ces mots que Sira Gassama, orpheline du Joola, a bouleversé l’assistance lors de la 23e commémoration du drame. À travers une prise de parole dense, vibrante, et sans détour, elle a ravivé une douleur enfouie, et rappelé que la mémoire du Joola n’est pas une page tournée, mais une plaie encore vive.
Dans une voix tremblante mais assurée, Sira a dénoncé les « vaines tentatives des effaceurs du Joola » ceux qui, par silence ou négligence, participent à l’oubli.
« La douleur la plus profonde, ce n’est pas seulement celle de ceux qui ont perdu. C’est celle d’un drame qui se tait. Celle d’un pays qui, trop longtemps, a regardé ailleurs. »
Elle l’affirme sans détour « Sans mémoire, les familles ne peuvent pas guérir. Sans mémoire, un peuple ne peut pas s’élever. Et sans mémoire, un peuple ne sait plus qui il est vraiment. C’est précisément ce qui a rendu le Joola si dévastateur. »
À 11 ans, elle a perdu ses parents. À 34, elle prend la parole pour toutes les familles brisées, pour les 1 863 morts officiels, pour les 16 nationalités endeuillées, pour les corps jamais remontés. « Ce drame ne fut pas une fatalité. Il fut le fruit d’une désinvolture. D’un non-respect de la vie humaine. »
Elle rappelle que le devoir de mémoire n’est pas une faveur accordée aux familles, mais une exigence de justice et une nécessité morale.
Dans un plaidoyer implacable, Sira a martelé plusieurs fois ces trois mots :’́ Il est temps de restituer l’honneur des victimes par la justice.’́ Il est temps de rétablir la vérité, non comme un simple devoir, mais comme une obligation. Il est temps de mettre en place une prise en charge psychosociale sincère, pas pour satisfaire une association, mais pour sauver des familles au bord de l’effondrement. Il est temps de procéder au renflouement du navire et au retrait des ossements, non pas comme une exigence hostile, mais pour permettre enfin le deuil, pour respecter la dignité humainé’.
Ce ne sont pas des larmes que réclament les familles. Pas des discours. Pas des statues.
Ce qu’elles demandent, c’est la vérité, la reconnaissance, l’action. « Monsieur le Président de la République, Bassirou Diomaye Faye, Monsieur le Premier ministre, Ousmane Sonko, ce que nous attendons de vous, c’est une mémoire réparatrice. Vous incarnez un espoir réel. Vous avez aujourd’hui le pouvoir de rouvrir ce dossier, sans complaisance. »
Et elle ajoute : « La grandeur d’un pays se mesure à sa capacité à protéger la vie humaine, à reconnaître ses drames, et à bâtir un avenir réconcilié avec son histoire. »
Dans la dernière partie de son intervention, Sira Gassama exhorte le pays tout entier à sortir de l’oubli. Elle appelle à une justice réveillée, à un musée vivant, à une réhabilitation des noms des victimes, à une prise en charge durable, à une transformation profonde des mentalités.
« Le Joola demeure une blessure. Pas à cause de ceux qui y ont péri en rêvant d’un avenir. Mais parce qu’un système a permis que ce drame arrive. Et qu’il continue de peser sur notre conscience. »
Quand elle s’est tue, le silence a envahi le public. Pas un mot. Pas un souffle, juste le poids de l’histoire.
Juste la vérité nue, portée par la voix d’une orpheline devenue témoin.
Sira Gassama a conclu par ces mots, restés dans tous les esprits : « Que ce moment ne soit plus un simple rituel. Que le cœur de ceux qui tentent d’oublier batte si fort qu’il réveille la justice endormie. Car l’heure n’est plus au souvenir passif, mais à la reconnaissance active. »
Ansoumana Dasylva/GMS