Amnistie sous contrôle : le Conseil constitutionnel veille à la rigueur de la loi par François Mame Samba Ndiaye

Par une décision rendue le 23 avril 2025, le Conseil constitutionnel du Sénégal a déclaré inconstitutionnelle la Loi d’interprétation de la Loi d’amnistie, adoptée par l’Assemblée nationale, le 02 avril 2025. Ce texte, porté par la majorité parlementaire incarnée par le groupe PASTEF, visait à exclure explicitement certains crimes graves du champ d’application de l’amnistie votée le 06 mars 2024. Cette décision, « hautement politique », cristallise les tensions entre une majorité en quête de réaffirmation de l’ordre moral et juridique, et une opposition vigilante sur la séparation des pouvoirs et le respect des procédures constitutionnelles.
 
I. Une décision juridiquement fondée sur la distinction entre interprétation authentique et législation nouvelle
 
La première ligne d’analyse juridique repose sur le caractère inapproprié de la qualification de « loi interprétative ». En droit, une loi interprétative a pour seule fonction de préciser le sens d’un texte antérieur, sans y ajouter des règles nouvelles. Or, selon les Sages du Conseil, la loi votée le 2 avril 2025 n’avait pas pour effet de clarifier, mais d’ajouter des limitations substantielles à la portée de la Loi d’amnistie de 2024, notamment en excluant explicitement certains crimes.
Cette analyse rejoint la jurisprudence classique des cours constitutionnelles francophones, qui rappelle que l’interprétation ne peut se confondre avec une réécriture du droit.
Dès lors, la loi du 02 avril 2025, en introduisant des éléments normatifs nouveaux, ne pouvait être assimilée à une loi d’interprétation. Elle devait donc suivre le régime juridique applicable à toute législation de fond, notamment en matière de rétroactivité, de procédure et de compétence.
 
II. Un enjeu de séparation des pouvoirs et de hiérarchie des normes
 
Le Conseil a également jugé que cette loi violait les principes constitutionnels fondamentaux, en particulier la séparation des pouvoirs. En effet, une loi dite « interprétative » ne peut corriger ou contrecarrer l’application d’une loi antérieure ayant déjà produit des effets juridiques, notamment des libérations et des non poursuites.
 
En d’autres termes, vouloir « corriger » le champ de l’amnistie après son application relève d’un abus de législation rétroactive, ce que la Constitution sénégalaise, à l’instar de nombreuses constitutions modernes, proscrit.
 
Par ailleurs, le texte aurait pu remettre en cause des décisions de justice, en impliquant implicitement un contrôle du législatif sur le judiciaire, ce qui aurait constitué une atteinte grave au principe fondamental de l’indépendance de la justice.
 
III. Un contexte politique sensible, révélateur de tension entre impératif de justice transitionnelle et stabilité institutionnelle
 
Cette décision s’inscrit dans un contexte politique particulièrement tendu, où l’enjeu n’est pas seulement juridique, mais aussi symbolique et mémoriel. La Loi d’amnistie de 2024 avait permis une sortie de crise en libérant des leaders de l’opposition, mais elle avait été critiquée pour son caractère trop général, laissant dans l’ombre des victimes de violences.
La tentative de légiférer à posteriori pour restreindre l’amnistie aux seuls faits non constitutifs de violations graves des droits humains apparaissait, sur le plan moral, légitime. Mais elle aurait nécessité, selon le Conseil, une véritable réforme législative, assumée comme telle, et non un habillage interprétatif.
 
Ce refus de validation constitutionnelle protège ainsi la cohérence juridique et rappelle que même dans un contexte post-crise, l’exception ne saurait devenir la norme.
En résumé, en déclarant inconstitutionnelle la Loi d’interprétation du 2 avril 2025, le Conseil constitutionnel sénégalais a réaffirmé la primauté du droit sur les logiques politiques, qu’elles soient supposées à tort ou à raison. Il a rappelé les bornes précises du pouvoir législatif en matière d’interprétation juridique et souligné la nécessité de respecter les mécanismes de la hiérarchie des normes et les principes de non-rétroactivité.
 
Au-delà du débat technique, cette décision résonne comme une mise en garde contre les tentatives de réécriture politique de l’histoire immédiate. Elle ouvre la voie à un débat plus large sur les conditions d’une véritable justice transitionnelle, à la fois fidèle au droit et attentive aux exigences de réconciliation nationale.
 
François Mame Samba NDIAYE.
Juriste, Expert en médiation, conciliation et arbitrage et Spécialiste certifié des aspects légaux et pratiques du commerce électronique

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *