En 15 mois, Fadilou Keita, directeur général de la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC), a engagé un vaste chantier de redressement au sein d’une institution qu’il décrit comme « profondément désorganisée » à son arrivée. Dans un entretien accordé à Le Soleil, il lève le voile sur l’ampleur des dysfonctionnements structurels : « un personnel surdimensionné et mal réparti, des projets gelés ou mal pilotés », et surtout « des engagements financiers massifs non sécurisés. »
Parmi les révélations les plus marquantes, 23 milliards de FCFA mobilisés sur simple lettre ministérielle pour la création d’Air Sénégal, une tour des Mamelles dont le coût a quasiment doublé, passant de 29 à près de 50 milliards, et 99 % des projets en cours jugés problématiques. Face à cette situation, M. Keita indique qu’une restructuration profonde a été entamée, allant de la gouvernance au portefeuille d’investissements, en passant par la réaffectation du personnel.
Une gouvernance remaniée
Dès sa prise de fonction, Fadilou Keita a commandité une étude organisationnelle interne. En parallèle, une mission de l’Inspection générale d’État (IGE) a été diligentée, avec l’appui du président de la République. L’audit externe mené par KPMGa confirmé les constats : une structure déséquilibrée, avec 80 % du personnel dans des fonctions de support, contre seulement 20 % dans les métiers de base.
Pour inverser cette logique, un plan social a été engagé, visant à maîtriser les effectifs et à réaffecter les ressources humaines vers les fonctions stratégiques. « Nous avons également refondu nos organes de gouvernance », explique le DG. La commission de surveillance est aujourd’hui présidée par Babacar Diame, expert-comptable, entouré de représentants qualifiés de la Présidence, de la Primature, du ministère des Finances et de l’Assemblée nationale. Les comités d’audit et d’investissement, longtemps dormants, sont devenus opérationnels et structurés.
Des projets mal engagés
La CDC s’est retrouvée engagée dans une série de projets aux résultats « décevants. » « L’essentiel des projets en cours présentaient des difficultés. Je dirais que 99 % d’entre eux posaient problème », affirme Fadilou Keita. Le projet P30, portant sur 30 hectares dans l’enceinte de l’aéroport, fait face à des litiges ; le foncier de la CDC a été affecté par des décisions prises en dehors du cadre réglementaire.
Mais le plus frappant reste la gestion financière antérieure. La CDC avait pris des participations minoritaires dans des sociétés sans pouvoir de décision, tout en plaçant des dizaines de milliards dans des comptes courants d’actionnaires. L’exemple de la création d’Air Sénégal, décidée par simple courrier et financée à hauteur de 23 milliards, illustre selon lui une dérive dans l’usage de la puissance financière de l’institution. « Une CDC bien structurée peut agir plus vite que les banques commerciales, mais cette puissance a été mal canalisée », souligne-t-il.
La tour des Mamelles
Projet important du portefeuille de la CDC, la tour des Mamelles estimée à 29 milliards de FCFA à l’origine pose problème. En effet Fadilou Keita informe que la relance dudit chantier nécessitera finalement près de 50 milliards, en raison des surcoûts accumulés. « Cela traduit un pilotage défaillant », commente le DG. Face à cette dérive, le contrat initial a été résilié, et un nouvel appel à candidatures est en cours pour recruter une entreprise « techniquement compétente et financièrement solide ».
Le projet Bambilor relancé avec 100 PME mobilisées
Autre exemple de correction stratégique, le projet de logements de Bambilor, longtemps en suspens. Il s’étend sur trois blocs fonciers (30 ha, 15 ha et 50 ha), mais était jusqu’ici géré par une société dont la CDC était actionnaire minoritaire. La restructuration en cours a permis à la CDC d’en devenir majoritaire, transformant la société en filiale. « L’argent investi est désormais sécurisé. Bien que nous ne soyons pas à l’origine des lenteurs passées, nous assumons notre devoir de continuité », rassure-t-il.
Pour accélérer les travaux, 100 PME locales ont été mobilisées. L’objectif de livrer rapidement les logements aux Sénégalais qui, depuis des années, ont versé des avances et patientent.