Jean-François Trape: «Seule une cinquantaine de serpents sur 275 ont une morsure potentiellement mortelle»

RFI : D’où vient cet intérêt pour les serpents ? 
 
Jean-François Trape : L’intérêt, c’est qu’au fur et à mesure, j’ai découvert que finalement beaucoup d’espèces étaient inconnues. Moi, sur les 25 000 serpents que j’ai collectés, il y avait 30 espèces nouvelles pour la science qu’on ne connaissait pas. Quand je suis arrivé à Brazzaville en 1980 en tant que jeune chercheur de l’Orstom, quelques jours après mon arrivée, je dinais sur la terrasse de la maison avec mon épouse et des amis, quand un serpent est venu presque jusqu’à notre table. Tout le monde a crié et s’est sauvé, mais il s’est trouvé que j’avais lu peu de temps auparavant un livre d’aventures à Bornéo, où l’auteur indiquait comment capturer des serpents vivants. Je m’étais un petit peu entrainé sur les couleuvres des Cévennes, et c’est ainsi que ce soir-là, j’ai pu capturer mon premier serpent congolais. 
 
Ce premier serpent que vous avez trouvé, c’était quelle espèce ? 
 
Je vais d’abord dire le nom savant, c’est un Crotaphopeltis hotamboeia, c’est une petite couleuvre venimeuse, mais peu venimeuse. On peut se faire mordre par cette couleuvre, il n’y aura absolument aucune conséquence. 
 
Quels sont les différents types de serpent que vous avez recensés ? 
 
Il y a le cobra et les mambas, d’une part, qui sont hautement dangereux. Il y a les vipères. Dans les vipères, il y a des espèces mortelles et d’autres qui sont, finalement, peu dangereuses. Il y a les couleuvres. Les couleuvres sont presque toutes inoffensives. Et puis, il y a ce qu’on appelle les serpents vers, qui sont de tout petits serpents qui ressemblent à des vers de terre. Et il y a ce qu’on appelle les typhlops, ou serpents aveugles, qui sont en général de taille moyenne, certains peuvent être de grande taille, jusqu’à 90 centimètres, mais la plupart ne dépassent pas une quarantaine de centimètres. Seulement une cinquantaine sur 275 ont une morsure potentiellement mortelle. 
 
En vous écoutant, Jean-François Trape, on dirait que les serpents ne sont pas dangereux, qu’ils sont inoffensifs. Est-ce que c’était ça votre objectif, de démystifier un petit peu cette image erronée des serpents ? 
 
Non, moi mon idée, c’est plutôt de donner à tous le moyen d’identifier les serpents. Quand un serpent a été tué, par exemple, de savoir s’il est dangereux ou pas. Vous voyez, par exemple, les tout petits serpents que l’on trouve lors des travaux des champs, souvent ils sont considérés comme mortels par la population, partout en Afrique, alors qu’ils sont totalement inoffensifs, ils ne mordent jamais. Et du premier coup d’œil, on peut les reconnaître. 
 
 Il y a un manque de connaissances, d’après vous ? 
 
Oui, il y a vraiment un énorme manque de connaissances. Il y a très peu de personnes, y compris en milieu rural, qui ont une bonne connaissance des serpents. 
 
Ce livre, est-ce qu’il est dédié à ces personnes-là, dans les villages ? Quelle est votre cible ? 
 
C’est vraiment tout public. Je pense qu’il est important d’apprendre à identifier les serpents de son village, de sa région, de son pays, et aider à cela, c’est l’objectif de ce guide.
 
Comment vous y êtes-vous pris ? 
 
Alors, ce que j’ai fait d’abord au Congo, puis au Sénégal, puis ensuite dans une vingtaine d’autres pays, c’est d’apporter chez les chefs de village de grands bidons avec dedans du formol ou de l’alcool. Partout, on tue les serpents dès qu’ils s’approchent des maisons, ou quand ils sont trouvés dans les champs, presque toujours on les laisse pourrir dans les sols, où ils sont dévorés par les fourmis. Donc ce que je demandais, c’était de rapporter jusque chez le chef de village les serpents tués, je laissais un cahier où il fallait marquer le nom de toutes les personnes qui apportaient un serpent, et quand je revenais un mois ou un an plus tard, on regardait ensemble tous les serpents qui avaient été tués, et j’indiquais ceux qui étaient dangereux et ceux qui étaient inoffensifs. Il y avait aussi une toute petite récompense, 300 francs CFA, pour ceux qui avaient apporté des serpents. Personne ne va prendre un risque pour 300 francs CFA, mais ça permettait de récompenser symboliquement l’effort d’avoir marché souvent des kilomètres depuis les champs avec un serpent mort, pour le ramener au village. 
 
Est-ce que vous êtes fier de ce travail, de le tenir entre vos mains ? Est-ce que c’est une source de satisfaction ? 
 
Je suis très heureux de le voir aboutir, parce qu’il y a plus de 375 espèces qui ont été inventoriées. Pour la première fois, toutes sont photographiées en couleur, chaque photo du livre est un souvenir personnel, et des souvenirs dans des coins souvent assez invraisemblables, donc c’est un peu toute ma seconde vie, à côté de celle de chercheur sur le paludisme et la borréliose à tiques, qui est dans ce guide. 
 
Et est-ce que vous pensez que ce livre aura un impact ? Ça pourrait changer les mentalités dans les pays que vous avez visités ? 
 
Non, je ne pense pas, mais ça aidera certainement à une meilleure connaissance des serpents. Dans deux ans, le PDF du livre sera gratuitement émis partout. 
 

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