Les tournées économiques des présidents sénégalais : une tradition politique en constante mutation

Depuis l’indépendance, les tournées économiques constituent l’un des rituels les plus emblématiques de la vie politique sénégalaise. D’un président à l’autre, elles ont changé de forme, de rythme et d’ambition, tout en conservant une fonction essentielle : maintenir le lien entre l’État central et les territoires. Retour sur une tradition qui raconte, à sa manière, l’évolution de la gouvernance au Sénégal.

Senghor : la tournée comme outil d’unité nationale

Dans les premières années de l’indépendance, Léopold Sédar Senghor sillonne le pays pour expliquer les grandes orientations de l’État naissant. Ces déplacements, encore informels, visent avant tout à rassurer, à fédérer et à installer l’autorité publique dans un territoire majoritairement rural. La tournée est alors un exercice pédagogique, presque fondateur, où le président se fait professeur et médiateur.

Abdou Diouf : la continuité administrative

À partir de 1981, Abdou Diouf reprend l’exercice, mais dans un style plus discret. Ses déplacements s’inscrivent dans une logique de suivi administratif, marquée par les réformes économiques et les programmes d’ajustement structurel. Le président se rend sur le terrain pour évaluer l’impact des politiques publiques, rencontrer les acteurs locaux et ajuster les priorités. Moins spectaculaire, sa démarche se veut méthodique et institutionnelle.

Abdoulaye Wade : la tournée comme vitrine du “Sopi”

Avec l’arrivée d’Abdoulaye Wade en 2000, les tournées économiques changent d’échelle. Elles deviennent un véritable outil de communication politique. Le chef de l’État multiplie les déplacements pour lancer ou inaugurer des infrastructures : routes, universités, hôpitaux, ponts, monuments. Chaque étape est mise en scène, accompagnée de foules et de discours, dans une volonté d’incarner la rupture promise par le “Sopi”. La tournée devient alors un symbole d’ambition et de modernisation.

Macky Sall : l’institutionnalisation autour du PSE

Sous Macky Sall, les tournées économiques prennent une dimension plus structurée. Elles s’inscrivent dans le cadre du Plan Sénégal Émergent (PSE), feuille de route du développement national. Le président en fait un instrument de pilotage : évaluer les chantiers, accélérer les projets, répondre aux attentes locales. Ces déplacements, souvent très médiatisés, suscitent aussi des critiques sur leur coût et leur efficacité réelle. Mais ils s’imposent comme un rendez-vous régulier de la gouvernance Sall.

Bassirou Diomaye Faye : une tournée de proximité annoncée

Élu en 2024, Bassirou Diomaye Faye s’apprête à perpétuer la tradition, mais avec une tonalité différente. Sa première tournée économique, annoncée pour décembre, débutera dans la région sud, à Ziguinchor et Sédhiou, avant de se poursuivre à Kolda et Tambacounda. Le gouvernement promet une démarche axée sur l’écoute, la proximité et la réorientation des politiques publiques. Une manière d’inscrire cette tournée dans une logique de rupture, tout en renouant avec l’esprit originel : aller vers les populations pour comprendre leurs réalités.

Une tradition révélatrice de la relation État–territoires

Des tournées pédagogiques de Senghor aux tournées infrastructurelles de Wade, en passant par les tournées institutionnalisées de Macky Sall, chaque président a façonné cet exercice à son image. Aujourd’hui encore, elles demeurent un baromètre de la gouvernance et un miroir des priorités nationales.

 

Ansoumana DASYLVA/GMS

 

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