JAMES COMEY, L’ex-Directeur Du FBI Qui Fait Trembler L’Amérique

Son témoignage, jeudi 8 juin 2017, devant la commission d’enquête du Sénat américain a mis à mal le président des Etats-Unis Donald Trump, révélant au grand jour des pratiques peu orthodoxes voire à la limite de la légalité. Mais James Comey n’en est pas à son premier fait d’armes politique : pendant la campagne présidentielle de 2016, c’est lui qui avait ouvert une enquête sur les emails d’Hillary Clinton, après avoir mené dans les années 1990 et 2000 deux autres instructions contre la démocrate et son mari. Portrait de cet avocat zélé, nommé patron du FBI en 2013 par Barack Obama, à qui certains attribuent la défaite d’Hillary Clinton.

Il est l’homme par qui le scandale arrive. Directeur du Federal Bureau of Investigation (FBI) jusqu’à son renvoi par Donald Trump au mois de mai, James Comey, 56 ans, gravite dans les plus hautes sphères du pouvoir américain depuis plus de deux décennies. Père de famille modèle, légiste acharné à la détermination sans faille… Son parcours presque exemplaire n’est en fait pas exempt de soubresauts, d’affaires d’envergures et de zones d’ombre.

« Mis à part les personnages de fiction, c’est sûrement le flic le plus connu des Etats-Unis à l’heure actuelle », observe la politologue américaniste Nicole Bacharan. Mais si James Comey était un anonyme aux yeux du plus grand nombre jusqu’à il y a peu, son nom est depuis longtemps familier à tous ceux qui s’intéressent à l’histoire politique et judiciaire américaine.

« Un morale solide et inaltérable »

James Comey est un homme droit. C’est du moins ce que disent ceux qui l’ont côtoyé. D’origine irlandaise et de grand-père policier, il naît à New-York en 1960, dans une famille de la classe moyenne : le père travaille dans l’immobilier, la mère dans l’informatique. Elève studieux et doué, il étudie au College of William and Mary, le deuxième plus ancien établissement d’éducation supérieure des Etats-Unis après Harvard.

Dans une vidéo hagiographique de James Comey, réalisée par l’université après sa nomination à la tête du FBI, un ancien camarade de classe, David Kelley, témoigne : « C’est un homme avec une morale solide et inaltérable. […] Il est brillant, très drôle. » James Comey entretient un lien fort avec son université, qu’il soutient financièrement, et où il effectue occasionnellement des conférences tout au long de sa carrière.

C’est au College of William and Mary qu’il rencontre sa femme, Patrice Failor, avec qui il partage toujours sa vie aujourd’hui. Pendant ses études de droit, il contracte la malaria en lui rendant visite alors qu’elle est en mission pour les Peace Corps en Sierra Leone, mais elle lui sauve la vie en l’emmenant à l’hôpital. Le couple aura six enfants. En 1995, l’un d’entre eux décède des suites d’une maladie bactérienne contractée pendant la grossesse. Meurtri, le couple s’engage ensuite pour une meilleure surveillance médicale des femmes enceintes.

Tout au long de sa vie familiale, James Comey apparaît comme un véritable modèle : il dispense des Sunday classes (cours religieux organisés le dimanche par les paroisses, et qui incombent aux membres les plus investis de la communauté), entraîne des équipes de basket d’enfants de sa ville – « Il se considère comme un bon basketteur parce qu’il est grand », s’amuse David Kelley. Mais du haut de ses 2,03 mètres, c’est surtout dans les tribunaux que James Comey se distingue.

« Il a une sorte de charme qui le rend très efficace face à un juge »

Après son diplôme de droit à l’université de Chicago, il travaille successivement pour John Walker Jr., le cousin du président Bush père, et en tant qu’assistant au bureau du procureur fédéral de Manhattan, alors dirigé par Rudolph Giuliani, futur maire de New-York. Ses collègues saluent son zèle : « Il a géré plus d’affaires que la plupart de ses collègues, et il le faisait extrêmement bien. Il a aussi une sorte de charme qui le rend très efficace face à un juge ou à des jurés », se souvient un de ses collaborateurs de l’époque, Gerard Lynch, interrogé en 2001 par le quotidien américain The New York Times.

Décrit comme humble et drôle, James Comey fait de l’effet. Anthony L. Ricco, qui le côtoyait à l’époque en tant qu’avocat se souvient : « Jim possédait ce mélange rare de bon sens populaire et d’intelligence universitaire […] quand vous vous étiez face à lui, vous deviez batailler en permanence pour avoir le jury de votre côté. »

Au début des années 1990, l’ascension prend forme. Le futur premier flic du pays devient membre du comité spécial du Sénat en charge de l’enquête sur l’affaire Whitewater. Déjà, James Comey a affaire aux Clinton. Bill et Hillary sont soupçonnés de s’être enrichis illégalement grâce à un projet immobilier – le projet Whitewater – en Arkansas, un Etat dont Monsieur a été gouverneur de 1983 à 1992. Finalement, aucune preuve ne permet d’incriminer le couple. Mais c’est en instruisant le dossier que le procureur indépendant Kenneth Starr fait éclater l’affaire Lewinsky – du nom de la secrétaire avec qui le président Bill Clinton a eu des rapports sexuels, ce qui faillit lui coûter son poste à la fin des années 1990.

James Comey quitte pour un temps New York et rejoint la Virginie. Après un bref passage dans un cabinet d’avocat, la gestion du bureau du procureur fédéral de l’Etat du nord-est des Etats-Unis lui est confiée. A ce poste, il tape dans l’œil des plus hauts dignitaires du pays en récupérant le dossier de l’attentat des tours Khobar, qui a fait 19 morts américains, en 1996, en Arabie Saoudite. Dans cette affaire qui traîne depuis des années et qu’il expédie en quelques mois, il met en examen 14 personnes. Lui et son équipe « ont fait ce qu’ils avaient à faire, ils ont retourné toutes les pierres, exploré toutes les pistes », salue le directeur du FBI de l’époque, Louis Freeh, auprès du New York Times.

« Un homme qui reconnaît le bien du mal »

2001 : les Etats-Unis sont mis à genoux par le 11-Septembre. L’administration Bush, qui suit de près les exploits en matière de contre-terrorisme de Comey, le nomme procureur fédéral du district sud de l’Etat de New York. Il a 41 ans et hérite d’un des postes les plus prestigieux du pays, notamment du fait du statut international de la plus grande ville des Etats-Unis. Pour sa prédécesseur, Mary Jo White « c’est la personne idéale à ce poste dans ce contexte. »

L’année suivante, James Comey se confronte de nouveau aux Clinton. Il ouvre une enquête sur la grâce présidentielle accordée par Bill, au dernier jour de sa présidence en 2001, à l’homme d’affaires Marc Rich. L’homme, doté de cinq nationalités, était accusé de fraude fiscale et de blanchiment d’argent. Exilé, il fuyait un mandat d’arrêt émis par le FBI, qui l’avait intégré à sa liste des 10 personnes les plus recherchées au monde. Marc Rich était notamment soupçonné d’avoir financé le parti démocrate et la campagne d’Hillary Clinton pour les sénatoriales de l’an 2000. James Comey finit par lâcher l’affaire, faute de preuves. Clinton 2 – Comey 0.

Le 3 octobre 2003, il devient numéro deux du ministère de la Justice américaine. Bien que nommé par l’équipe de George W. Bush, il n’hésite pas à s’opposer aux conseillers du président. Une nuit de mars 2004, Alberto Gonzales, futur ministre de la Justice, et Andrew Card, directeur du cabinet de George W. Bush, débarquent sous ses yeux dans la chambre de son supérieur, au George Washington Hospital. Le ministre de la Justice de l’époque, John Ashcroft, est alors en soins intensifs depuis plusieurs jours, mais l’équipe du président a besoin de sa signature au bas d’un texte prolongeant un programme d’écoutes téléphoniques. Ashcroft et Comey y sont défavorables, et opposent une fin de non-recevoir aux hommes de Bush. Les numéros un et deux du ministère de la Justice démissionneront un an plus tard : « Je ne pouvais pas rester alors que l’administration voulait engager des procédures auxquelles le Department of Justice ne trouvait aucune justification légale », expliquera-t-il plusieurs années plus tard devant le Sénat.

 

James Comey fait ensuite un détour par le secteur privé, dans les plus hautes instances juridiques de plusieurs entreprises : le fonds d’investissement Bridgewater Associates, la Banque HSBC, et même Lockheed Martin, le numéro un mondial de la vente d’armes – qui doit plus du tiers de son chiffre d’affaires aux commandes de l’armée américaine. « Tous les juges et hauts fonctionnaires des Etats-Unis ont l’habitude de passer par le secteur privé », explique le professeur émérite d’histoire américaine à Paris 8 Jacques Portes.  « C’est choquant, mais c’est normal dans ce pays, même si le risque de conflit d’intérêts est évident », ajoute l’américaniste Nicole Bacharan.

Près de 10 ans après avoir quitté le ministère de la Justice, en 2013, James Comey revient sous le feu des projecteurs. Barack Obama en fait le 17e directeur du FBI. Il succède à Robert Mueller, qui est aujourd’hui chargé de mener l’enquête indépendante sur Donald Trump. « J’ai rencontré beaucoup de candidats extraordinaires à ce poste, discourt le premier président noir des Etats-Unis au moment de sa prise de fonction. Ce qui m’a convaincu que James Comey était la bonne personne, ce ne sont pas ses diplômes ou son CV, mais c’est de lui avoir parlé, d’avoir rencontré sa famille admirable, de voir que c’était un homme qui reconnaît le bien du mal, et qui part de là pour agir tous les jours. » Surtout, Obama a besoin de convaincre l’aile droite du Congrès pour faire passer ses réformes, et Comey, qui a toujours penché du côté républicain, est la personne idoine.

« On progresse en faisant des erreurs »

Le mandat de directeur du FBI dure normalement une décennie. James Comey fait exception puisqu’il sera resté en poste moins de 4 ans. « Obama ne s’est jamais plaint de lui, il n’y a jamais eu de problèmes apparents entre eux. C’était un juge efficace, remarqué, sans casseroles », observe le professeur émérite d’histoire américaine Jacques Portes. Remarqué, James Comey le sera d’autant plus quand il tiendra tête aux patrons d’Apple pour obtenir le déchiffrement du portable du tueur de San Bernardino.

Surtout, en pleine campagne présidentielle, à l’été 2016, James Comey ouvre une enquête à propos des mails d’Hillary Clinton – du temps où elle était secrétaire d’Etat de Barack Obama, la candidate démocrate n’utilisait pas le service mail de la Maison Blanche, mais une boîte de réception privée, mettant ainsi en péril la sécurité nationale. « Il a rendu les conclusions de son enquête publiques, ce qui est totalement inhabituel. D’autant qu’elles étaient formulées très étrangement, développe Nicole Bacharan. Longuement, il explique ce qu’Hillary Clinton avait fait de grave, de mal… pour conclure finalement qu’il n’y avait pas matière à poursuite. »

Qui plus est, 11 jours avant l’élection, « il annonce publiquement, de son propre chef, qu’il rouvre l’enquête sur les mails de Clinton. C’est absurde, il avait déjà vu tous les mails. Onze jours avant l’élection, c’est hallucinant », poursuit la politologue. Finalement, cette troisième confrontation judicaire avec les Clinton, après les affaires Whitewater et Marc Rich, sera la bonne : Hillary perd l’élection, et de nombreux observateurs en imputent la responsabilité à James Comey.

« On peut dire qu’il est intervenu dans la campagne pour faire perdre Hillary Clinton, affirme Nicole Bacharan. Alors que normalement, le FBI doit rester hors du jeu politique, il doit se maintenir au-dessus de la mêlée. » Actuellement, c’est plutôt au cœur du pugilat que se trouve l’ancien premier flic des Etats-Unis. Sa suspicion vis-à-vis de Trump a poussé James Comey à consigner le contenu de tous leurs échanges – et son refus d’accéder à ses demandes d’abandonner l’enquête sur les liens entre l’entourage du président et la Russie lui ont coûté son poste.

Aujourd’hui, James Comey, justicier républicain qui a fini par faire tomber les Clinton, est tombé à son tour dans les méandres de ce qui pourrait être l’un des plus grands scandales politiques des dernières décennies. Son flegme pragmatique, dont il ne s’est pas départi pendant les trois heures d’auditions devant le Sénat le jeudi 8 mai à propos de l’affaire Trump, le poussait à affirmer, quand il prenait ses fonctions à la tête du FBI en 2013 : « On progresse en faisant des erreurs et en les corrigeant, en faisant des promesses et en les tenant ». Des erreurs, l’avenir dira s’il y en a eu. Et des promesses, il y en a déjà une qui peut être faite : les Etats-Unis ne sont pas prêts d’oublier le nom de James Comey.

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