«La Russie mène une guerre totale de l’information qui n’est possible que dans un régime autoritaire»

David Colon : Ce nous désigne les citoyens des démocraties qui, depuis la fin de la Guerre froide, vivaient dans l’illusion d’une disparition des antagonismes. En réalité, sans le savoir, ils faisaient l’objet depuis longtemps d’une nouvelle forme de confrontation qui a pour vecteur principal l’information et pour origine des régimes autoritaires. Ces derniers ont d’abord cherché à protéger leur espace informationnel de toute ingérence étrangère. Ils se sont ensuite doté des nouveaux attributs de la puissance informationnelle que sont par exemple les médias internationaux d’État, la diplomatie publique ou des équipes de « cyberguerriers ». Enfin, ils se sont lancés dans des opérations offensives dans le but de fragiliser les démocraties de l’intérieur.

Pourquoi a-t-on ignoré cette guerre ?

La première raison, c’est le fait que les démocraties occidentales ont acquis la conviction après la Guerre du Golfe que la Russie et la Chine ne représentaient plus une menace. L’extension à l’échelle mondiale du marché de l’information devait permettre la démocratisation de ces régimes. Ce qui a conduit les pays occidentaux à baisser la garde. La seconde raison, c’est qu’à partir de septembre 2001, l’attention de leurs services de renseignement a été focalisée sur la menace terroriste islamiste globale.

Les démocraties doivent-elles présenter ces régimes autoritaires comme des ennemis ?

À l’heure actuelle, les régimes démocratiques ont démontré leur capacité à identifier, caractériser et attribuer techniquement des attaques informationnelles. En revanche, la difficulté est ensuite d’attribuer publiquement, politiquement, une attaque. Le plus souvent, nos gouvernements s’y refusent. Les rapports de ces dernières années montrent qu’il y a quatre menaces principales : la Chine, la Russie, l’Iran et la Corée du Nord.

Les États-Unis ne mènent-ils pas également une offensive informationnelle contre les démocraties européennes ?

Il y a une ambition américaine de dominer l’information mondiale et d’étendre son influence par le recours à l’arme informationnelle. Les États-Unis ont leur part de responsabilité dans la guerre informationnelle que nous connaissons aujourd’hui, dans la mesure où les régimes autoritaires les ont perçus comme une menace existentielle. Ce qui les a conduits à réagir. Si l’on considère l’action des États-Unis dirigée dans nos pays démocratiques, pour autant que je sache, elle n’a pas comme finalité de créer un effondrement.

Quelle est l’approche de la Russie ?

La Russie mène une guerre totale de l’information qui n’est possible que dans un régime autoritaire. Elle intègre l’ensemble des moyens disponibles : la diplomatie, la communication stratégique, la cyberguerre, les médias internationaux, les fermes de trolls, les services de sécurité et leurs sous-traitants.

Et celle de la Chine ?

Tout indique que la Chine s’est réappropriée une partie du répertoire propagandiste russe dans une offensive informationnelle d’une ampleur inédite. Le directeur du FBI a publiquement déclaré que s’il mobilisait tous ses agents sur les menaces informationnelles chinoises, notamment les cyberattaques, les Chinois demeureraient supérieurs en nombre avec un ratio de 50 contre un.

La Chine a cela de différent avec la Russie qu’elle dispose de moyens humains comme technologiques autrement importants. La finalité, qui caractérise la manière de voir des Chinois depuis l’Art de la Guerre de Sun Tzu, consiste à gagner la guerre avant même d’avoir à la mener. L’arme informationnelle permet cela.

D’autres pays se retrouvent pris entre les feux de cette guerre informationnelle, notamment en Afrique. Quelles sont les conséquences ?

Je parle d’une « bataille d’Afrique 2.0 » pour qualifier la guerre de l’information menée sur le continent aussi bien par les régimes autoritaires que par les démocraties. Elle a conduit à une fragilisation interne de certains pays. Elle modifie de façon substantielle les équilibres géopolitiques.

Vous appelez à un « état d’urgence informationnel ». De quoi s’agit-il ?

Il s’agit de prendre en compte la gravité de la situation. Je ne suis pas sûr que tous nos concitoyens aient conscience de ce qui se joue actuellement dans cette guerre de l’information mondiale et des dangers que cette guerre de l’information fait peser sur nos démocraties. L’état d’urgence informationnel vise à encourager un état d’esprit de résilience face à ces attaques. Quand on regarde ce qui s’est fait ces dernières années, on voit que les pays qui ont su le mieux contrer la guerre de l’information ont en particulier su diffuser auprès de leurs populations la conscience de ce qui était à l’œuvre. Je pense à Taïwan, à l’Ukraine, aux pays baltes, aux pays scandinaves, à l’Australie… Il y a des exemples dont nos gouvernants pourraient s’inspirer pour protéger nos démocraties.

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