Reddition des Comptes : Amadou Ba, Abdoulaye Daouda Diallo et Birima Mangara dans le viseur de la Haute Cour de justice

La Division des investigations criminelles (DIC) a clôturé son enquête sur des irrégularités présumées dans la gestion des finances publiques sénégalaises entre 2019 et 2024, suite à un audit de la Cour des comptes. Plusieurs anciens ministres , dont Amadou Bâ, Abdoulaye Daouda Diallo et Birima Mangara, pourraient être traduits devant la Haute Cour de justice.
 
L’enquête, initiée par le nouveau régime dans le cadre de la reddition des comptes, a été lancée après un référé du premier président de la Cour des comptes, Mamadou Faye, demandant l’ouverture de procédures pénales. Un dossier clé qui concerne des Dépôts à terme (DAT) d’une valeur de plus de 141 milliards de FCFA, qui auraient été retirés avant échéance sans reversement au Trésor public, impliquant notamment l’ancien ministre Amadou Bâ.
 
La délégation judiciaire confiée à la Division des investigations criminelles (DIC) par le Collège des juges d’instruction du Pôle Judiciaire Financier (PJF) est quasiment achevée. L’objectif était d’enquêter sur l’audit des finances publiques couvrant la période de 2019 au 31 mars 2024.
 
A cet effet, Mamadou Faye avait saisi Ousmane Diagne alors Garde des Sceaux et ministre de la Justice, d’un référé visant l’ouverture de procédures pénales à la suite de l’audit relatif à la situation des finances publiques. Dans ce référé, le premier président de la Cour des comptes sollicitait l’audition de tous les ministres des Finances ayant exercé entre 2019 et 2024. Plusieurs dignitaires de l’ancien régime de Macky Sall figuraient parmi les principaux visés, ainsi qu’une dizaine de hauts fonctionnaires ayant exercé au Trésor public et au ministère des Finances.
 
Selon le référé de la Cour des comptes, qui s’apparente à un véritable carnage financier, deux dossiers retiennent particulièrement l’attention de ceux qui ont eu accès au document de Mamadou Faye. Le premier concerne l’ouverture de plusieurs Dépôts à terme (DAT), des comptes assimilables à des placements bloqués pour une durée déterminée (trois, six ou douze mois), pendant laquelle les fonds ne sont normalement pas retirables. Dans ce dossier, qui implique l’ancien ministre Amadou Bâ, la somme de 141 087 194 249 FCFA est en jeu.
 
Selon la Cour des comptes, la quasi-totalité de ces dépôts a été « cassée », c’est-à-dire retirée avant échéance, sans qu’aucun reversement n’ait été effectué dans les caisses du Trésor public. Outre Amadou Bâ et Abdoulaye Daouda Diallo, qui se sont succédé au ministère des Finances et du Budget, les noms de Birima Mangara, alors ministre délégué chargé du Budget, et de Cheikh Tidiane Diop, ex-Directeur général du Trésor et Secrétaire général du ministère des Finances au moment des faits, sont également cités. Tous les quatre sont visés par le référé à l’origine de l’ouverture de l’enquête confiée à la DIC.
 
Dans ce dossier, les ministres ne pouvaient normalement pas être entendus, car ils bénéficiaient d’un privilège de juridiction, les faits qui leur sont reprochés ayant été commis dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions. Pourtant, « le journal Solo », indique « L’Observateur » a rapporté dans sa parution du mercredi 24 septembre 2025, que l’ancien ministre Abdoulaye Daouda Diallo avait été longuement entendu par les enquêteurs de la Division des investigations criminelles dans le cadre de l’enquête sur la gestion des finances publiques sous le régime de Macky Sall. Cette audition a surpris plusieurs observateurs, qui se demandaient comment Abdoulaye Daouda Diallo, protégé par son privilège, pouvait être convoqué.
 
« Rien ne s’oppose à ce qu’il consente à répondre de lui-même », a expliqué un juriste. Selon lui, si l’ancien ministre n’a rien à se reprocher et souhaite faire preuve de transparence pour la suite de sa carrière politique, il peut se présenter volontairement devant les enquêteurs. Autre possibilité, a ajouté le juriste : « la mise en place d’une délégation judiciaire par le juge d’instruction chargé du dossier, qui enverrait alors des questions précises aux enquêteurs pour de probables auditions ». Après Abdoulaye Daouda Diallo, les ministres Amadou Bâ et Birima Mangara pourraient également être entendus dans le cadre de l’enquête. Leur éventuelle traduction devant la Haute Cour de justice, après une mise en accusation assurée par l’Assemblée nationale, serait imminente.
 
Dans les faits révélés par la Cour des comptes, le second dossier concerne le scandale présumé des Certificats nominatifs d’obligation (CNO), évalués à 546,70 milliards de FCFA, auxquels s’ajoutent des intérêts de 58,99 milliards, attribués à des personnes morales et à des tiers. Plongés dans un flou comptable et laissés sans véritable suivi par les services du ministère des Finances et du Budget sous le régime de Macky Sall, ces titres illustrent une époque où l’opacité semblait la règle. Les magistrats financiers de la Cour des comptes ont révélé que ni l’exhaustivité ni l’ampleur exacte des dettes contractées par l’État n’ont pu être déterminées avec certitude, alors que ces montants colossaux ont bel et bien été réglés.
 
Au tout début de l’enquête, menée discrètement mais de manière méthodique, plusieurs directeurs de banques et responsables d’institutions financières ont été entendus. Par la suite, l’investigation s’est tournée vers le Trésor public, pièce maîtresse de la gestion des finances de l’État. Les hauts fonctionnaires, au cœur de l’appareil financier de la République, ont répondu aux convocations de la DIC. Parmi eux, Adama Racine Sow, Trésorier général de mai 2015 à mai 2020, et Waly Ndour, qui a occupé cette fonction de 2008 à 2012 avant d’être nommé président de la Cellule nationale de traitement des informations financières (CENTIF), ont été entendus.
 
Avec l’audition des directeurs d’institutions financières, les enquêteurs ont voulu comprendre comment 63 comptes bancaires ont été ouverts en dehors du cadre budgétaire, souvent sans autorisation préalable, et identifier les flux financiers qui y ont transité.
 
La Banque Atlantique du Sénégal (BASN) abrite, à elle seule, six de ces comptes, ventilés entre plusieurs rubriques : « Opérations budgétaires, créances Sofico, Appui budgétaire 2023 et une mystérieuse sixième ligne non spécifiée ». À la Banque de Dakar (BDK), un autre compte a été ouvert par l’État, sans que sa destination ne soit précisée. Huit comptes sont domiciliés à la BGFI Bank, ouverts par l’entité EPAS/État du Sénégal. La BICIS en héberge un autre au nom de l’État. La Banque islamique du Sénégal n’est pas épargnée non plus, avec quatre comptes ouverts pour des rubriques aux intitulés aussi précis qu’évocateurs. Notamment, « Relance de l’économie », « CRHC Ageroute », « Ansa Realty », « Reprofilage ».
 
Un compte à la Banque nationale pour le développement économique (BNDE), cinq à la Bank of Africa (BOA), trois à Bridge Bank, un à la Banque régionale des marchés (BRM), un à la BSIC, trois à la Chao, quatre au Crédit du Sénégal (EDS), un à Coris Bank, sept à Ecobank, un à FBNBank, un à La Banque Outarde (LBO), sept à Nsia, un à Orabank, six à la Société générale Sénégal (SGS), et un à United Bank for Africa (UBA). Soixante-trois (63) comptes au total, éparpillés comme autant de pièces d’un puzzle financier que la DIC s’emploie désormais à reconstituer pièce par pièce pour lever toutes les zones d’ombre, révélées par le rapport d’audit de la Cour des comptes sur la gestion des finances publiques entre 2019 et le 31 mars 2024.

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